grandmother and grandfather holding child on their lap

Les octo ou nonagénaires qui vieillissent en pleine forme physique ne le doivent pas qu’à leurs gènes et voilà leurs “secrets”

Une étude réalisée par des chercheurs du Scripps Research Translational Institute montre que les choix comportementaux jouent un rôle majeur dans le vieillissement en bonne santé et la plupart sont à portée de main.

Atlantico avec Christophe de Jaeger

close up shot of an elderly woman wearing eyeglasses while holding a smartphone
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Atlantico : Le cardiologue et généticien américain Eric Topol vient de rendre d’imposants travaux concernant les “secrets” de la longévité. Il a étudié des personnes âgées en bonne santé, octogénaires ou nonagénaires, dans l’espoir de trouver d’éventuels facteurs génétiques, mais n’a pas identifié de prédispositions particulières de ce côté. Que peut-on dire de ses travaux ?

Christophe de Jaeger : La première chose que je souhaiterais souligner, c’est qu’il faut cesser de parler de “secrets”. C’est une formulation typique des journalistes qui laisse entendre qu’il existerait des recettes magiques, des éléments cachés, des choses hors normes à découvrir. Or, ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de secret. En revanche, nous connaissons très bien, depuis longtemps, les facteurs de risque des maladies qui nous handicapent, puis nous tuent : maladies cardiovasculaires, métaboliques comme le diabète, neurodégénératives, ou encore les cancers. Les travaux du docteur Topol illustrent bien quelles sont les stratégies pertinentes à mettre en place ou à adopter quand on souhaite éviter ces facteurs de risque. Sans surprise, décider de changer son comportement peut faire reculer le risque de pathologies — qui arrivent au pire plus tard et sont souvent moins graves. Ces constats sont abondamment documentés dans la littérature scientifique et cette nouvelle enquête ne fait guère que le confirmer.

Eric Topol a raison d’insister sur le fait que la cause n’est pas génétique. Beaucoup de gens s’abritent derrière l’idée qu’ils ont de “bons” ou de “mauvais” gènes, pour se dédouaner de toute responsabilité. En réalité, une bonne santé résulte aussi d’un mode de vie adapté. Et l’on retrouve toujours les mêmes facteurs clés : ne pas fumer, ne pas consommer d’alcool, éviter le surpoids, pratiquer une activité physique régulière, et adopter une alimentation équilibrée. Beaucoup s’imaginent qu’ils peuvent “compenser” une mauvaise habitude par une bonne : “je fais du sport donc je peux fumer”, ou “je mange équilibré donc je peux boire”. Mais ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Ces comportements s’additionnent. Une mauvaise habitude reste délétère, même si l’on pense la contrebalancer.

La surcharge pondérale, souvent liée à une mauvaise alimentation et à la sédentarité, est l’un des marqueurs les plus visibles de cette dérive. Il suffit de regarder autour de soi pour voir à quel point elle est répandue. Beaucoup de gens de 50 ou 60 ans sont déjà essoufflés au moindre effort. C’est le signe que leur capital santé est prématurément entamé. Nous disposons tous d’un capital santé, qu’il convient d’entretenir, de préserver et non simplement de consommer ou d’user. Certaines personnes, évidemment, ont un meilleur capital initial, d’autres un capital plus fragile. Mais dans tous les cas, nos comportements peuvent l’entretenir… ou l’épuiser plus vite que prévu.

Outre la bonne hygiène de vie, qui consisterait à pratiquer une activité sportive et à manger sainement, à ne pas fumer ou ne pas boire, quels sont les points saillants de l’enquête d’Eric Topol et, d’une façon générale, de la littérature scientifique à ce sujet ?

Le stress constitue un facteur de risque très bien documenté, d’ailleurs évoqué dans les travaux d’Eric Topol. Il favorise les maladies cardiovasculaires, métaboliques et neurodégénératives. L’isolement social est également un facteur défavorable et il est donc important de conserver, autant que faire se peut, une vie sociale active. En outre, la qualité du sommeil joue aussi un rôle. Quand il est de mauvaise qualité, notamment en raison du stress ou du fait de conditions devie peu favorables, il concourt à déclencher des maladies limitant progressivement l’autonomie de la personne, susceptibles de nécessiter des traitements parfois lourds et même de mener, à terme, au décès. Comprenons bien que le sommeil profond est essentiel à la santé cérébrale. L’activité sportive, et particulièrement la masse musculaire, est indispensable à la sauvegarde de l’autonomie.

Plus que la question de la seule bonne alimentation, il faut aussi parler des aliments ultra-transformés. Les personnes qui consomment beaucoup d’aliments ultra-transformés sont souvent débordées par la vie. Ce sont des gens, qu’il ne s’agit d’ailleurs pas ici de blâmer, qui n’ont ni le temps de cuisiner, ni celui de bien choisir leurs aliments. Ce n’est pas forcément un choix, c’est souvent une contrainte. Ce sont des personnes qui doivent courir après le temps, gérer des enfants, un emploi, les trajets… et qui vont vers la solution la plus rapide. Mais ces comportements, imposés par la société, sont contraires à une bonne gestion du capital santé.

Selon Eric Topol, il est essentiel d’envisager des tests médicaux avancés pour anticiper davantage les risques. La pratique est-elle courante en France ?

Je partage pleinement cette idée. Il existe un culte du “bilan de santé” chez les cadres, les chefs d’entreprise… mais ces bilans sont souvent conçus comme des dispositifs de dépistage de pathologies. Or, ce n’est pas la même chose qu’un bilan orienté vers la préservation de la santé. En tant que médecin physiologiste, je m’intéresse non pas à la pathologie mais au maintien – ou au rétablissement – de la santé. Cela passe par d’autres indicateurs : le degré de vieillissement de l’organisme, l’âge physiologique, les carences éventuelles. Il ne s’agit pas d’opposer les deux approches – elles sont complémentaires – mais les bilans actuels ne donnent pas les réponses nécessaires pour une prise en charge de prévention primaire. C’est ce que je développe dans mon livre La médecine de la longévité, une révolution.

Quid de la nécessaire prudence, selon Eric Topol, à l’endroit des compléments anti-âge et autres médicaments comme la rapamycine ? 

Il y a un véritable business de l’anti-âge, qu’il convient évidemment de critiquer fermement. On vend des compléments ou des pilules miracles en jouant sur le marketing : plus d’énergie, plus de muscles, meilleure sexualité, longévité accrue… Tout cela est faux et surtout potentiellement dangereux, en cela que cela donne l’illusion aux gens qu’ils prennent soin de leur santé alors qu’ils peuvent, au contraire, l’endommager. Ainsi, la prise excessive de certaines vitamines peut avoir un effet inverse à celui recherché. Au lieu de neutraliser les radicaux libres, on inhibe les mécanismes naturels de défense. Corriger une carence est une bonne chose, mais cela suppose un diagnostic précis et une prise en charge médicale rigoureuse. Ce n’est pas à la portée du premier site Internet venu.

Quant à la rapamycine, c’est un médicament très particulier. Il est utilisé pour prévenir les rejets de greffe, car il module l’immunité, mais il a aussi des propriétés anticancéreuses. Chez l’animal, à fortes doses, il semble améliorer le vieillissement. Mais chez l’humain, à petites doses, rien n’est prouvé. Et à fortes doses, les effets indésirables sont importants. Prendre de la rapamycine à visée anti-âge est donc irresponsable et dangereux. Nous vivons une époque passionnante du point de vue médical, avec de nombreux outils pour travailler sur la longévité humaine. Mais il ne s’agit pas de distribuer des pilules colorées. Il faut des indications, des mesures, des contre-indications. C’est un champ qui relève de la physiologie humaine, et qui doit être encadré par des médecins compétents.

Un des exemples de bonne méthode pour accroître la longévité doit selon vous être cherché du côté des “zones bleues”. De quoi s’agit-il ? 

C’est effectivement un sujet fondamental. Voilà plus de trente ans, maintenant, que des chercheurs étudient ces zones bleues – à Okinawa, en Sardaigne, ou ailleurs – où la proportion de centenaires est significativement plus élevée. On y cherche souvent un “secret”. Encore cette tentation… S’il n’y a pas de secret, ce que l’on constate, c’est que les habitants y mangent peu, sont physiquement actifs, ne sont pas en surcharge pondérale. Ils travaillent souvent jusqu’à un âge avancé — à Okinawa, ils ramassent encore du riz à 90 ans, par exemple. Bien sûr, ils ne sont pas aussi performants qu’à 35 ans, mais ce n’est pas ce qui importe.

Ce qui importe, c’est qu’ils restent actifs et intégrés dans la communauté. Ils ont une valeur sociale. Ils ne sont ni isolés, ni stressés. Tout fonctionne de manière ordonnée. Et, sans surprise, c’est l’inverse exact de ce que l’on observe dans les sociétés occidentales modernes.

Le Docteur Christophe de Jaeger est médecin et son travail est centré sur la physiologie de la sénescence depuis plus de 30 ans.

Il a développé en particulier la notion d’âge physiologique (différent de l’âge chronologique et

de l’âge ressenti) et sa prise en charge afin d’optimiser le capital santé de chacun et de lui conserver le plus longtemps possible ses capacités physiologiques. En d’autres termes, rester en bonne santé le plus longtemps possible.

De formation initiale gérontologue, il a rapidement complété son cursus à la faculté des sciences en biologie de la sénescence. Il enseigne à la faculté de médecine de Paris et de Lille et également à la faculté des sciences dans le Master de biologie du vieillissement. Il a écrit ou coécrit de nombreux livres dont une dizaine grand public, ainsi que de nombreux articles scientifiques.

Son dernier ouvrage grand public  »Médecine de la Longévité : Une révolution ! » est publié en octobre 2023 chez Guy Trédaniel éditeur.