Alzheimer : on sait pourquoi les femmes sont plus touchées

Magali Régnier Journaliste

en collaboration avec Docteur Christophe de Jaeger (Longévité et gériatrie)

Des scientifiques américains ont révélé une nouvelle cause moléculaire de la maladie d’Alzheimer. Cette découverte pourrait également expliquer pourquoi les femmes sont plus à risque de contracter la maladie. Elles représentent aujourd’hui près de deux tiers des cas.

Sommaire

  1. Alzheimer : les femmes représentent deux tiers des cas
  2. Plus de modifications métaboliques retrouvées dans le cerveau de femmes
  3. Pourquoi les femmes sont-elles plus exposées ?
  4. Les œstrogènes, la clé d’une protection contre Alzheimer ?

Face aux mystères qui entourent encore la maladie d’Alzheimer, la recherche progresse. Quelques semaines après les résultats encourageants sur un premier traitement, une nouvelle étude publiée le 14 décembre 2022 par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) pourrait expliquer l’inégalité entre les hommes et les femmes face à cette maladie.

Alzheimer : les femmes représentent deux tiers des cas

La maladie d’Alzheimer constitue la forme la plus courante de démence. Elle survient avec le vieillissement, et est toujours mortelle, généralement dans la décennie qui suit son apparition. Il n’existe aucun traitement approuvé qui puisse arrêter le processus de la maladie, et encore moins l’inverser.

Pourquoi ? Principalement parce que les scientifiques n’ont pas réussi à élucider le développement de cette pathologie. Les scientifiques ne savent pas non plus pourquoi les femmes représentent près des deux tiers des cas. Mais une équipe du MIT avance une nouvelle hypothèse.

Plus de modifications métaboliques retrouvées dans le cerveau de femmes

Dans cette étude, publiée dans Science Advances , les chercheurs ont examiné 40 cerveaux d’hommes et de femmes. La moitié provenait de personnes décédées de la maladie d’Alzheimer.

Les tests ont révélé 1 449 différents types de protéines dans le cerveau qui apparaissent avec l’âge – dont plusieurs avaient déjà été liées à la maladie d’Alzheimer. Les scientifiques se sont particulièrement intéressé aux protéines résultant d’une réaction chimique particulière (la S-nitrosylation) capables de provoquer un phénomène d’inflammation et des réactions immunitaires inappropriées au niveau cérébral.

Une protéine a retenu toute leur attention : la protéine connue sous le nom de SNO-C3 (résultant de la transformation d’une protéine C3 inoffensive en SNO-C3 par S-nitrosylation). Selon les chercheurs, des protéines comme SNO-C3 peuvent activer des cellules immunitaires du cerveau appelées microglies capables de détruire les synapses, ces points de connexion par lesquels les neurones s’envoient des signaux les uns aux autres. Et cette destruction des synapses pourrait expliquer au moins en partie la survenue de la maladie d’Alzheimer.

Ces tests ont révélé que les niveaux de SNO-C3 étaient six fois plus élevés dans le cerveau des femmes atteintes de la maladie d’Alzheimer que chez les hommes.

Pourquoi les femmes sont-elles plus exposées ?

Mais pourquoi SNO-C3 est-il plus fréquent dans le cerveau des femmes malades ? Les chercheurs avancent l’hypothèse que les œstrogènes protègent spécifiquement le cerveau des femmes de la réaction chimique qui va « dévoyer » C3 – et cette protection disparaît à mesure que les niveaux d’œstrogène chutent fortement avec la ménopause. Des expériences sur des cellules cérébrales humaines en culture confirmeraient cette théorie.

En résumé : les œstrogènes agissent comme un anti-inflammatoire naturel et on pense qu’il joue un rôle dans la suppression de SNO-C3. Alors que les niveaux d’hormones sexuelles chez les hommes augmentent avec l’âge, les œstrogènes chutent fortement chez les femmes pendant la ménopause. 

« Pourquoi les femmes sont plus susceptibles de contracter la maladie d’Alzheimer est depuis longtemps un mystère, mais je pense que nos résultats représentent une pièce importante du puzzle qui explique mécaniquement la vulnérabilité accrue des femmes à mesure qu’elles vieillissent », a déclaré le De Stuart Lipton, urologue et auteur de l’étude.

“Nos nouvelles découvertes suggèrent que la modification chimique d’un composant du système du complément favorise la survenue de la maladie d’Alzheimer et peut expliquer, au moins en partie, pourquoi la maladie affecte principalement les femmes ».

Les œstrogènes, la clé d’une protection contre Alzheimer ?

Pour Christophe de Jaeger, médecin gériatre et chercheur français dans le vieillissement du corps humain, l’étude est passionnante mais demande davantage d’investigations :

“Dans la maladie d’Alzheimer, l’étiologie et l’étiopathogénie sont encore mal connues, et aboutissent à peu de possibilités thérapeutiques à ce jour. Il y a une multitude de pistes : génétiques environnementales, hormonales, carentielles, infectieuses… Dans cet article, les chercheurs abordent les anomalies de la gestion de l’énergie au sein de cellules et la problématique d’une neuro-inflammation qui peut être un mécanisme cellulaire. Ils évoquent par ce biais la problématique des œstrogènes qui chutent à la ménopause. C’est une théorie vieille de 20 ans, récemment remise en avant selon laquelle les œstrogènes auraient un intérêt dans le traitement des pathologies neurodégénératives. Cette étude démontre que les œstrogènes peuvent modifier le métabolisme de l’oxyde nitrique. En confirmant cette découverte, ces chercheurs apportent aujourd’hui une nouvelle piste physiopathologique et donc une nouvelle piste de traitement”.

Sources

  • Sarah Lewis, Emily Schahrer, Dorit Trudler, Tomohiro Nakamura, Steven R. Tannenbaum, Stuart A. Lipton, Mechanistic insight into female predominance in Alzheimer’s disease based on aberrant protein S-nitrosylation of C3, Science Advances, doi: 10.1126/sciadv.ade0764

Le Docteur Christophe de Jaeger est médecin et son travail est centré sur la physiologie de la sénescence depuis plus de 30 ans.

Il a développé en particulier la notion d’âge physiologique (différent de l’âge chronologique et

de l’âge ressenti) et sa prise en charge afin d’optimiser le capital santé de chacun et de lui conserver le plus longtemps possible ses capacités physiologiques. En d’autres termes, rester en bonne santé le plus longtemps possible.

De formation initiale gérontologue, il a rapidement complété son cursus à la faculté des sciences en biologie de la sénescence. Il enseigne à la faculté de médecine de Paris et de Lille et également à la faculté des sciences dans le Master de biologie du vieillissement. Il a écrit ou coécrit de nombreux livres dont une dizaine grand public, ainsi que de nombreux articles scientifiques.

Son dernier ouvrage grand public  »Médecine de la Longévité : Une révolution ! » est publié en octobre 2023 chez Guy Trédaniel éditeur.

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