Le magazine Wired pense que oui. Pour le docteur Christophe de Jaeger, spécialiste de la vieillesse et de la longévité, la réalité est bien plus complexe.
Avec Christophe de Jaeger
Atlantico : La recherche sur le vieillissement et la prolongation de la vie a fortement progressé ces dernières années. Pour autant, les chercheurs se posent toujours une même question centrale : « Existe-t-il une limite supérieure à la durée de vie humaine ? ». A-t-on des éléments qui nous permettent de répondre à cette question ?
Christophe de Jaeger : Deux visions s’opposent. D’un côté, il y a les épidémiologistes, tels que Jean-Marc Robine, mentionné dans l’article de Wired. Il évoque des recherches d’épidémiologies qui ont toutes menées à un âge théorique maximum de 122 ans environ. Jeanne Calment, née en février 1875 et décédée en août 1997 à l’âge exceptionnel de 122 ans en est l’exemple type. De l’autre côté, les médecins de la longévité comme moi et les chercheurs pensent qu’il ne s’agit pas de la vraie limite. Actuellement, on ne peut pas statistiquement la chiffrer. Pour ce faire, il faudra étudier les futurs centenaires, des personnes âgées de 40 à 60 ans aujourd’hui mais qui seront en mesure de rester le plus longtemps possible dans le meilleur des états possible grâce à des stratégies spécifiques. Si je résume, les épidémiologistes vont écumer les mairies, les cimetières, les registres … pour récupérer des dates de naissance et de décès afin de faire des calculs en fonction de paramètres, comme la région d’origine de ces centenaires, les statistiques de mortalité, etc. Les médecins de la longévité vont quant à eux chercher des solutions pour allonger la durée de vie.
Dans quelle mesure les progrès actuels peuvent permettre de dépasser la limite d’âge humaine ? Peut-elle encore avancer ?
Aujourd’hui, l’espérance de vie théorique maximum est liée à des observations sur le passé, pas à des prospectives. Si on change de perspective, si on commence à poser les bons diagnostics et qu’on soigne correctement les personnes âgées, cette espérance de vie augmentera. D’ailleurs, quand une personne très âgée meurt, on ne pose généralement aucun diagnostic, on fait simplement référence à l’âge du sujet puisqu’il devient en quelque sorte « normal de mourir » à cet âge avancé. Les Américains eux, font des autopsies. Ils ont réalisé que la majorité de ces personnes déclarées mortes à cause de leur âge avaient en fait des maladies diverses non diagnostiquées et donc non traitées. En tant que médecin, je pense qu’il faut s’efforcer de diagnostiquer et traiter les problématiques, y compris a un âge avancé Ce premier versant permettrait d’augmenter la longévité globale de la population.
Le second versant consisterait à travailler sur le processus du vieillissement lui-même. Le vieillissement en lui-même n’est qu’un « reflet du temps qui passe ». Ainsi, un enfant de 16 ans est vieux par rapport à un enfant de 12 ans. À partir de la fin de l’adolescence, ce vieillissement devient négatif et on l’appelle sénescence. Cette sénescence va nous dégrader progressivement et faire le lit des pathologies. Pour la plupart des gens, il s’agit d’un processus physiologique inéluctable. Je pense personnellement qu’il est possible de traiter cette sénescence. Autrefois polémique, cette notion est de plus en plus étudiée, partout sur la planète. C’est le second point, la lutte contre la sénescence, qui permettra l’augmentation de la durée de vie en bonne santé.
Cherchons-nous généralement les réponses aux bons endroits pour percer les secrets de la longévité humaine ?
Quand on ne s’intéresse qu’au passé, on ne cherche pas au bon endroit. Il faut chercher dans les mécanismes qui nous altèrent, diagnostiquer et évaluer le processus de la sénescence. Cette approche est basée sur la physiologie er la médecine régénérative. Il s’agit d’ une logique très différente de celle de médecine classique puisque nous n’avons pas les mêmes objectifs, les mêmes méthodes et les mêmes stratégies thérapeutiques. Pour autant, cela reste deux médecines complémentaires.
Certains chercheurs pensent que des interventions peuvent prolonger la durée de vie, telles que la restriction calorique, la thérapie génique et l’utilisation de médicaments. Quelles sont les interventions les plus prometteuses à vos yeux ?
Pour prolonger la durée de vie, une seule intervention n’est pas possible. Il en faut plusieurs puisque le processus de la sénescence est très complexe. La restriction calorique, la nutrition et l’exercice physique ne représentent selon moi qu’une petite partie du défi, bien que cela soit effectivement un moyen d’intervenir. Les mécanismes du vieillissement dépendent d’un individu à un autre, il faut donc varier les interventions. Parfois de façon physiologique, en corrigeant des déficits, ou avec certains médicaments comme la metformine. Mais ces médicaments ne sont pas une solution miracle. S’ils semblent bien fonctionner sur l’animal, ce n’est pas toujours le cas sur l’homme.
Quand nous sommes face à un individu centenaire, nous avons souvent tendance à lui demander les secrets de sa longévité. Pensez-vous qu’il y en ait vraiment ?
Quand on interroge un super-centenaire – un individu qui a plus de 110 ans – certains répondent qu’il faut éviter l’alcool, le mariage, de trop travailler … Cela n’a aucun sens. Il n’y a pas de secret, si ce n’est qu’ils ont eu de la chance. Ils ont évité les accidents, les maladies et leurs gènes sont plutôt bons que mauvais. En somme, ils sont passés au travers de tous les aléas de la vie. À 100 ans, on a statistiquement une chance sur deux de mourir dans l’année. C’est pour cette raison que l’espérance de vie en bonne santé est l’indicateur le plus important.
Pourtant, un élément peut grandement nous aider à percer certains secrets de la longévité : l’étude des « zones bleues ». Il y en à Okinawa, en Sardaigne, ou encore en Amérique du Sud. Ces zones, où la fréquence de centenaires est bien plus élevée que la moyenne, ont été très étudiées par les scientifiques. Chez ces populations, on trouve toujours quatre choses essentielles. La première est la restriction calorique naturelle. Ils mangent peu. La deuxième chose est l’activité physique, quel que soit l’âge. Il n’y a pas de retraite, même si un individu de 80 ans sera moins actif qu’un individu qui en a 30. La troisième chose, c’est la position dans la société. Ces centenaires ont toujours une valeur, une position et participent à l’économie collective, même avec des petits moyens. Enfin, le quatrième facteur est le stress, très peu présent et qu’il convient d’éviter au maximum. Mais par-dessus tout, je pense que nous devrions faire plus d’efforts pour nos aînés. Il faudrait encore mieux les médicaliser, afin qu’ils vivent mieux et plus longtemps.
Le Docteur Christophe de Jaeger est médecin et son travail est centré sur la physiologie de la sénescence depuis plus de 30 ans.
Il a développé en particulier la notion d’âge physiologique (différent de l’âge chronologique et
de l’âge ressenti) et sa prise en charge afin d’optimiser le capital santé de chacun et de lui conserver le plus longtemps possible ses capacités physiologiques. En d’autres termes, rester en bonne santé le plus longtemps possible.
De formation initiale gérontologue, il a rapidement complété son cursus à la faculté des sciences en biologie de la sénescence. Il enseigne à la faculté de médecine de Paris et de Lille et également à la faculté des sciences dans le Master de biologie du vieillissement. Il a écrit ou coécrit de nombreux livres dont une dizaine grand public, ainsi que de nombreux articles scientifiques.
Son dernier ouvrage grand public »Médecine de la Longévité : Une révolution ! » est publié en octobre 2023 chez Guy Trédaniel éditeur.
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