08 03 2023 - Ressentir l'age réel - 2

Mais pourquoi avons-nous tant de mal à
ressentir notre âge réel ?

La distinction est nécessaire entre l’âge ressenti et l’âge réel.

Les gens ont besoin de répondre à un certain nombre de performances. On arrive au maximum de celles-ci autour des 18-20 ans.

Avec le Docteur Christophe de Jaeger

Atlantico : Pourquoi tant de personnes ont-elles une compréhension immédiate et
intuitive de ce concept très abstrait, appelé âge subjectif, lorsqu’on leur présente au
hasard
?

Christophe de Jaeger : On a tous, lorsqu’on nous pose la question “quel âge pensez-vous
avoir ?”, tendance à enjoliver les choses. Cet article est intéressant car il compare les visions de
populations différentes, asiatiques, africaines et occidentales. En Occident, l’âge avancé n’est
jamais forcément positif. Quand on a 50 ans, on préférait donner l’impression d’en avoir 40.
Certaines personnes interrogées répondent en une fraction de seconde 20 ans, une façon de
dire qu’elles se sentent très bien. En revanche, dès que les personnes dépassent les 50 ou 60
ans, elles ont beaucoup de mal à donner un âge subjectif. Si on monte vers les 70 ans, cela
devient encore plus compliqué dans leur tête. Pourquoi ? Car en réalité, les gens ne vont pas/
bien tous les jours, à cause des problèmes de genoux ou de souffle. Et à ce moment-là, ça
donne l’impression d’être plus âgé.
Il faut préciser les choses. Il y a un âge chronologique, connu par la date de naissance. Celui-ci
ne sert pas à grand-chose sauf à délimiter des moments importants de notre vie. Par exemple,
à 18 ans, il est possible de voter et passer le permis de conduire. Ces éléments sont comme
des bornes. A 60 ou 62 ans, c’est la retraite. En dehors de cela, l’âge chronologique ne
représente pas grand-chose. Cela pourrait représenter une certaine maturité et expérience,
mais dans la réalité des individus, ils ont toujours envie de ressentir l’impression d’être plus
jeune.
Ensuite, il y a l’âge ressenti. Quand une personne de 60 ans va bien jouer au tennis ou faire un
bon parcours de golf, elle aura l’impression d’avoir 20 ans. Et cet âge ressenti, il est
extraordinairement trompeur car il ne correspond à rien d’autre qu’un sentiment subjectif.
Puis, il y a un troisième âge fondamental, l’âge physiologique, réel du corps. Ce sont des choses
qu’on peut depuis une trentaine d’années parfaitement mesurer. A n’importe quel âge, il est
possible, système par système, de savoir où la personne en est dans son vieillissement. Par
exemple, il y a des gens avec un âge chronologique de 50 ans et un âge ressenti de 30 ans mais
qui vont avoir un âge physiologique de 10 à 15 ans plus âgé.

Pourquoi les individus ont-ils tendance à ne pas accepter leur âge réel ? Existe-t-il une
vraie différence entre les continents ?

Christophe de Jaeger : Prenons un exemple intéressant sur lequel je travaille, les centenaires d’Okinawa.

Les gens se posent la question : quel est le secret de ces fameuses zones bleues d’Okinawa ? On se rend
compte qu’il y a plus de centenaires dans cette région. Pour quelle raison ? Ils ont une
nourriture plutôt frugale, donc ils sont en restriction calorique, ce qui joue sur la longévité. Ils
sont toujours en exercice physique, même à 80 ou 90 ans. Mais, ils ne travaillent pas avec les
mêmes demandes de performance qu’à 40 ou 50 ans. On se rend compte que ces gens-là,
quelque soit leur âge, sont toujours intégrés dans la société, ils ont toujours une valeur dans la
société. Cette notion est très importante. Lorsque l’on vous demande votre âge ressenti, c’est
aussi par rapport à votre valeur dans le calendrier. Si vous êtes quelqu’un d’âgé, dans le cadre
occidental, vous ne valez plus grand chose. Quand vous êtes quelqu’un de plus âgé, toujours
intégré dans la société, il n’y a pas le même rapport, il y a un respect. Ce respect, on le perd
quand on voit ce qu’il se passe dans les maisons de retraite. On s’interroge : Quel est le respect
véritable porté à ces personnes très âgées, qui sont mises en dehors de la société, dans des
zones où elles ne sont plus valorisées comme une part de la société ?
Les gens ont besoin de répondre à un certain nombre de performances. On arrive au
maximum de celles-ci autour des 18-20 ans. Ensuite, elles se dégradent très lentement entre 20
et 30 ans. Les réserves vont s’épuiser tranquillement puis, entre 30 et 50 ans, il y a une vraie
diminution des capacités, qu’elles soient physiques ou intellectuelles. Les deux vont être
compensées par l’expérience. Par exemple, au tennis, à 20 ans, on court sur toutes les balles,
même quand elles sont perdues d’avance. A 50 ans, on va gérer son jeu et quand la balle est
perdue, on se prépare à la suivante. En sachant gérer les rencontres, on peut être amené à/
gagner plus de matchs. Donc, l’expérience est quelque chose d’extrêmement trompeur et qui
cache les différentes pertes de perception.
Il y a une référence à l’image qui est très importante, et cette image est dégradée par les
problèmes de santé.

Dans quelle mesure la question “quel âge ressentez-vous ?” est différente de la question

“quel âge avez-vous dans votre tête ? » Est-il possible de faire un distinguo ?

Christophe de Jaeger : Il est possible de faire un distinguo. Car quand on demande “quel âge avez-vous dans votre tête” à 50 ans, des personnes répondent 20 ans. Dans la tête, on est libéré de toutes ces problématiques physiques. L’âge ressenti est quelque chose de très global. C’est à la fois dans la tête et dans les capacités de faire du sport et de l’exercice. Il y a énormément de choses, c’est une question très compliquée.

Cet âge ressenti, présent dans la tête, est très trompeur et devrait interroger les personnes

sur leur capital santé. En prévention primaire, on se rend compte que ce qui amène les gens à

consulter est de reconnaître certaines limitations et d’accepter que ce n’est plus comme avant.

Des chefs d’entreprise me disent, à 50 ans, ne plus prendre de rendez-vous après le déjeuner

car ils n’ont plus de capacités d’attention. Dans la réalité des faits, l’ensemble de nos différents

systèmes physiologiques se dégradent doucement à partir des 18-20 ans. Cette dégradation va

faire le lit des maladies. Et quand elles surviennent, elles vont accélérer cette dégradation

physiologique, appelée la sénescence. La grande problématique est que la prise de conscience

de cette sénescence peut déboucher sur un certain nombre de mesures, de protections ou de

corrections. Pour cela, il faut en être conscient. En étant dans le déni de cette réalité, la

personne ne fait pas ce qu’il faut pour maintenir au meilleur niveau possible et gérer au mieux

le capital santé. Cet âge ressenti, nous amène à être aveugle sur la réalité des dégradations.

C’est en cela qu’il n’est pas qu’une curiosité intellectuelle, il est véritablement un problème. Il

faudrait que cette notion d’âge physiologique, l’âge réel, soit beaucoup plus développée,

partagée par l’ensemble de nos contemporains.

Le Docteur Christophe de Jaeger est médecin et son travail est centré sur la physiologie de la sénescence depuis plus de 30 ans.

Il a développé en particulier la notion d’âge physiologique (différent de l’âge chronologique et

de l’âge ressenti) et sa prise en charge afin d’optimiser le capital santé de chacun et de lui conserver le plus longtemps possible ses capacités physiologiques. En d’autres termes, rester en bonne santé le plus longtemps possible.

De formation initiale gérontologue, il a rapidement complété son cursus à la faculté des sciences en biologie de la sénescence. Il enseigne à la faculté de médecine de Paris et de Lille et également à la faculté des sciences dans le Master de biologie du vieillissement. Il a écrit ou coécrit de nombreux livres dont une dizaine grand public, ainsi que de nombreux articles scientifiques.

Son dernier ouvrage grand public  »Médecine de la Longévité : Une révolution ! » est publié en octobre 2023 chez Guy Trédaniel éditeur.

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