Expérience de la Vie

Nos premières expériences de vie auraient un impact durable sur nos gènes

Magali Régnier Journaliste

en collaboration avec Docteur Christophe de Jaeger (Longévité et gériatrie)

Dans une récente étude, des chercheurs belges ont souligné la façon dont certaines expériences au début de la vie, comme une alimentation trop sucrée, pourraient avoir un impact à long terme sur nos gènes affectant même, à terme, notre espérance de vie.

Sommaire

  1. “Impacter nos gènes pour le meilleur ou pour le pire”
  2. Prendre les bonnes habitudes dès l’enfance pour une meilleure santé

Les bonnes habitudes pour la santé ne se prennent jamais assez tôt. C’est un peu ce que l’on pourrait conclure à la lecture d’une nouvelle publication de l’Université catholique de Louvain en Belgique : sur la base d’une étude sur des mouches, celle-ci révèle que les premières expériences de vie, pendant la plus tendre enfance, pourraient bien avoir un impact à long terme sur l’activité des gènes. Si l’idée d’un impact positif, comme négatif, de la façon dont nous sommes élevés était connue en théorie, cette recherche en apporte des preuves scientifiques : les gènes auraient bien une mémoire.

“Impacter nos gènes pour le meilleur ou pour le pire”

L’étude en question est assez éloignée des humains pour le moment puisqu’elle est établie sur des mouches de fruits, mais elle souligne un mécanisme intéressant : lorsqu’elles sont nourries très tôt avec un régime riche en sucre, les mouches vivent des vies plus courtes, même après l’amélioration de leur régime alimentaire à l’âge adulte. Dans leurs travaux, les chercheurs ont alors découvert qu’un régime riche en sucre inhibait en réalité une partie des gènes (appelée dFOXO) impliquée dans le métabolisme du glucose, qui affecte l’espérance de vie. De fait, en réactivant ces gènes au cours des trois premières semaines de l’âge adulte des mouches, les chercheurs ont influé positivement leur métabolisme, une modification qui a persisté durablement dans le reste de leur vie, prolongeant celle-ci d’un mois. La découverte est donc double : si l’étude prouve que les gènes peuvent se souvenir de mauvaises habitudes, ils pourraient aussi se rappeler de bonnes habitudes prises au plus tôt. Ce que confirme le Docteur Nazif Alic, principal auteur de l’étude publiée dans Nature Aging.

« Ce qui se passe au début de la vie peut affecter la manière dont s’expriment vos gènes plus tard, pour le meilleur ou pour le pire. Il se peut qu’une mauvaise alimentation au début de la vie, par exemple, puisse avoir un impact sur notre métabolisme plus tard dans la vie en ajustant la façon dont nos gènes sont exprimés, même après des changements alimentaires substantiels au fil des années, mais heureusement, il pourrait bien être possible d’inverser cette tendance »

Prendre les bonnes habitudes dès l’enfance pour une meilleure santé

Pour le Docteur Christophe de Jaeger, médecin, chercheur français spécialisé dans le vieillissement et membre du comité d’experts Doctissimo, la découverte est passionnante car ces chercheurs belges ont ouvert scientifiquement la porte de ce qui était déjà observé :

Depuis très longtemps, les physiologistes savent qu’une partie de notre santé se joue dans les premières années de notre vie, ça été déjà vu sur la densité osseuse, tout comme dans les fonctions cognitives. Avec un constat cependant « observationnel » : quand il est inéluctable que nos fonctions déclinent avec l’âge, on se dit qu’il faut partir alors du plus haut possible pour être gênés le plus tard possible. A ce titre, les habitudes prises pendant l’enfance et l’adolescence ont un rôle primordial dans cette phase de « développement », avant d’aborder la phase de “sénescence” qui s’engage dès la fin de l’adolescence.”

Le fait que l’étude porte sur les gènes inhibés par le sucre est également un point nécessaire, selon lui, dans une société où nous avons l’habitude de donner des sucreries aux enfants, par plaisir, en imaginant qu’à cet âge, leur métabolisme est suffisamment efficace pour revoir leurs habitudes avec l’âge et le temps. Or, c’est dès l’enfance que le sucre devrait être géré :

“Certes, l’étude est menée aujourd’hui sur des drosophiles, mais si on projette cela sur nos enfants, ça signifie qu’en les laissant manger n’importe quoi, on leur fait en fait du mal maintenant mais aussi plus tard. Nos recherches observationnelles dessinent que nous avons chacun un stock d’insuline défini, qui s’épuise au fil du temps. Peut-être qu’avec cette étude nous allons expliquer comment donner trop de sucres aux enfants dès leur jeune âge peut épuiser ce stock, et influer sur leur état de santé à l’âge adulte.”

Pour l’affirmer, des travaux plus poussés doivent cependant être menés sur des sujets murins (rat, souris), puis des humains.


Sources

  • Entretien avec le Docteur Christophe de Jaeger, 5 décembre 2022.
  • Martínez Corrales, G., Li, M., Svermova, T. et al. Transcriptional memory of dFOXO activation in youth curtails later-life mortality through chromatin remodeling and Xbp1. Nat Aging (2022). https://doi.org/10.1038/s43587-022-00312-x

Le Docteur Christophe de Jaeger est médecin et son travail est centré sur la physiologie de la sénescence depuis plus de 30 ans.

Il a développé en particulier la notion d’âge physiologique (différent de l’âge chronologique et

de l’âge ressenti) et sa prise en charge afin d’optimiser le capital santé de chacun et de lui conserver le plus longtemps possible ses capacités physiologiques. En d’autres termes, rester en bonne santé le plus longtemps possible.

De formation initiale gérontologue, il a rapidement complété son cursus à la faculté des sciences en biologie de la sénescence. Il enseigne à la faculté de médecine de Paris et de Lille et également à la faculté des sciences dans le Master de biologie du vieillissement. Il a écrit ou coécrit de nombreux livres dont une dizaine grand public, ainsi que de nombreux articles scientifiques.

Son dernier ouvrage grand public  »Médecine de la Longévité : Une révolution ! » est publié en octobre 2023 chez Guy Trédaniel éditeur.

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