31 01 203

Réforme des retraites : Temps partiel, mécénat de compétences… Comment adapter le travail des seniors en fin de carrière

TRAVAIL Le projet de réforme des retraites porté par le gouvernement prévoit le report de l’âge légal de départ à 64 ans

Par Anissa Boumediene

Pour les seniors en fin de carrière, des dispositifs permettent d’aménager le temps de travail sans perdre de revenu. — Mood Board / Rex Featur/REX/SIPA
  • Travailler jusqu’à 64 pour bénéficier d’une retraite à taux plein, c’est ce que prévoit le projet de réforme des retraites porté par le gouvernement.
  • Mais en pratique, à quelques années de sa fin de carrière, fournir le même travail, faire les mêmes horaires et avoir la même productivité que lorsqu’on avait 30 ans peut devenir plus compliqué.
  • Alors, faut-il penser des aménagements de postes ou une adaptation du temps de travail ? Des dispositifs existent-ils déjà ?

Va-t-il falloir travailler plus longtemps ? C’est ce que prévoit le projet de réforme des retraites du gouvernement, qui souhaite porter l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Un texte qui ne fait pas l’unanimité et qui, après une première journée de mobilisation massive le 19 janvier, donnera lieu à de nouvelles manifestations le 31 janvier.

Mais en pratique, si la loi passait, comment tenir jusqu’à 64 ans quand les corps commencent déjà à fatiguer et qu’accomplir son travail quotidien est de plus en plus éprouvant ? Comment accompagner, voire aménager, le travail des seniors à l’approche de la retraite ?

Adapter les postes de travail et favoriser la formation

« Il y a des activités professionnelles qui usent les corps, plante le Dr Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l’Union française pour une médecine libre (UFML). Ce qu’il faut, c’est penser l’âge en termes d’adaptation des postes, ne pas considérer qu’on peut exercer son travail de la même manière à 25, 45 ou 65 ans. On ne peut pas demander à une aide-soignante qui porte ses patients toute la journée et a le dos cassé après quelques années d’exercice, de travailler dans les mêmes conditions jusqu’à 64 ans, insiste le médecin. Si on n’adapte pas les postes de ces salariés qui atteignent un âge où le travail les fatigue, c’est une impasse ».

Ainsi, « si on veut qu’un senior puisse rester durablement en emploi, il faut qu’il ait les compétences pour exercer le métier dont l’entreprise a besoin aujourd’hui et aura besoin demain, estime Françoise Kleinbauer, PDG de France Retraite, organisme expert dans l’accompagnement et la gestion des fins de carrière. L’une des clés est de favoriser la formation tout au long de la vie. Dans de nombreux métiers, à l’instar d’une institutrice, d’une aide-soignante ou d’un ouvrier, il peut être compliqué après 60 ans, d’assurer son activité dans les mêmes conditions qu’à 30 ans. Pourquoi ne pas anticiper et permettre une autre trajectoire de fin de carrière ? Mais cette évolution ne peut découler de la seule réforme des retraites ».

En pratique, « L’adaptation des postes en fonction de l’âge devrait aussi être du ressort de la médecine du travail, mais le problème, c’est qu’elle a été démantelée, déplore le Dr Marty. Le gouvernement veut faire passer cette réforme en force sans avoir réfléchi à tous les tenants et aboutissants, pourquoi une telle urgence ? » Pour le médecin, « on ne peut pas baser une réforme des retraites que sur une analyse froide des chiffres. Elle doit se construire avec de nombreux acteurs, des sociologues, des spécialistes de la gérontologie [le vieillissement de la population]. » Or, « c’est important de respecter le parcours, les besoins et la réalité de santé de chacun, abonde le Docteur Christophe de Jaeger, médecin physiologiste spécialiste du vieillissement, président de la Société française de médecine et physiologie de la longévité. Le problème, c’est de toujours essayer de mettre tout le monde dans le même sac, c’est assez triste de ne pas tenir davantage compte des individus et de leur réalité physiologique ».

Retraite progressive et réduction du temps de travail hebdomadaire

Tenir compte de cette réalité physiologique, cela peut passer par « une réduction des performances attendues et du temps de travail hebdomadaire, dans le cadre d’une réorganisation du travail laissée à l’appréciation de l’entreprise », avance le Docteur de Jaeger. « Le temps partiel en fin de carrière est la piste que France Retraite conseille aux entreprises de privilégier pour favoriser le maintien dans l’emploi des seniors, indique Françoise Kleinbauer. Toutes les parties prenantes s’accordent à reconnaître que l’on ne peut souvent pas continuer à travailler dans les mêmes conditions à 60 ans qu’à 30. On constate d’ailleurs un plus fort absentéisme au-delà de 60 ans, lié notamment aux arrêts maladie ».

Et sur ce terrain, c’est la retraite progressive qui tire son épingle du jeu. En pratique, « elle est accessible deux ans avant l’âge légal de départ en retraite, aux personnes qui ont cotisé 150 trimestres, et permet un temps de travail compris entre 40 et 80 % », détaille la PDG de France Retraite.

Un dispositif encore confidentiel, puisque moins de 30.000 personnes en bénéficient à ce jour, « alors que c’est une solution vertueuse pour tout le monde, insiste-t-elle. Pour le collaborateur, parce qu’il réduit son activité sans être pénalisé financièrement : il perçoit un revenu complémentaire des caisses de retraite qui s’ajoute à sa rémunération d’activité. Concrètement, s’il travaille à 80 %, il reçoit 20 % de sa retraite, tout en continuant à cotiser et acquérir des droits. Et lorsqu’il liquidera sa retraite, on lui recalculera sa pension sur la base de la totalité de sa carrière : les montants de pension déjà perçus ne sont pas déduits, comme beaucoup de salariés le croient. Et pour l’entreprise, ce dispositif permet d’avoir un senior maintenu dans l’emploi, tout en réduisant sa masse salariale ».

« Une transition emploi-retraite »

Un dispositif qui a en outre l’avantage « d’organiser une transition emploi-retraite, très souvent mal anticipée dans les entreprises, ajoute Françoise Kleinbauer. Beaucoup de seniors que nous accompagnons dans la préparation de cette transition nous confient n’être pas suffisamment préparés au changement radical qu’engendre le passage d’actif à retraité du jour au lendemain ». D’ailleurs, « beaucoup de seniors développent des problèmes de santé dès qu’ils partent à la retraite », confirme le Docteur de Jaeger. Dans ce contexte, « la retraite progressive représente un enjeu sociétal et sanitaire », estime Françoise Kleinbauer.

Parmi les autres pistes, « nous présentons également aux entreprises le mécénat de compétences, poursuit-elle. Un dispositif qui permet notamment aux seniors de passer du temps dans une organisation en dehors de l’entreprise, au sein d’une association. En pratique, l’entreprise finance en totalité le salaire de la personne et bénéficie en parallèle d’une déduction fiscale. Tout comme la retraite progressive, ce dispositif permet au salarié de ne plus être à temps plein dans l’entreprise tout en favorisant de précieux transferts de compétences ».

Toutefois, « si pour certains, le maintien en emploi est trop compliqué, il faut aussi savoir proposer la retraite avant l’âge légal », presse le Docteur de Jaeger. Déjà existante, « la retraite pour inaptitude reste accessible dès 62 ans, relève Françoise Kleinbauer, et est maintenue dans le projet de loi dans les mêmes conditions ».

Le Docteur Christophe de Jaeger est médecin et son travail est centré sur la physiologie de la sénescence depuis plus de 30 ans.

Il a développé en particulier la notion d’âge physiologique (différent de l’âge chronologique et

de l’âge ressenti) et sa prise en charge afin d’optimiser le capital santé de chacun et de lui conserver le plus longtemps possible ses capacités physiologiques. En d’autres termes, rester en bonne santé le plus longtemps possible.

De formation initiale gérontologue, il a rapidement complété son cursus à la faculté des sciences en biologie de la sénescence. Il enseigne à la faculté de médecine de Paris et de Lille et également à la faculté des sciences dans le Master de biologie du vieillissement. Il a écrit ou coécrit de nombreux livres dont une dizaine grand public, ainsi que de nombreux articles scientifiques.

Son dernier ouvrage grand public  »Médecine de la Longévité : Une révolution ! » est publié en octobre 2023 chez Guy Trédaniel éditeur.

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